La Réveillée

Photo : 1975 – Premier rassemblement de la Réveillée, avec les descendants des gentilshommes verriers du Sud Ouest, en Ariège, au Mas d’Azil (ici : déjeuner à Coudère)

« La réveillée » correspond à la période de l’année pendant laquelle les fours de verrier sont allumés.

L’association La Réveillée réunit depuis 1975  les descendants des gentilshommes verriers du Sud Ouest des cinq familles de Robert, de Grenier, de Verbizier, de Suère et de Riols de Fonclare.

Elle a pour but de resserrer les liens entre ces familles pour un épanouissement personnel et collectif, de faire profiter la collectivité familiale, régionale ou européenne de la richesse spirituelle, culturelle ou technique du patrimoine de ces familles, centrés sur « l’Art et Science de Verrerie ».

1975 – Premier rassemblement des descendants des gentilshommes verriers du Sud Ouest

Qui étaient les gentilshommes verriers ?

L’Ancien Régime de la France se divisait en trois ordres politiques et juridiques, les deux ordres privilégiés du clergé et de la noblesse, puis l’ordre des roturiers, nommé le tiers-état.

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,, La vocation de la noblesse était de fournir au roi ou au prince les officiers combattants dont l’armée avait besoin en temps de guerre. Cette condition nobiliaire était héréditaire et les gentilshommes « d’extraction noble », c’est-à-dire fils d’un noble, se vouaient au service armé du roi. Ce qui signifie a contrario que le premier anobli dans un lignage n’était pas gentilhomme, mais pouvait transmettre à sa descendance l’état de noblesse ; et que les femmes de la noblesse, ne se destinant pas au service armé, n’étaient pas de « gentilles femme ». Les gentilshommes devaient porter en public l’épée ou le poignard au côté, pour manifester leur capacité de répondre sur le champ à !’appel du souverain sous les armes. Dans quelles conditions les artisans du verre ont-ils été anoblis, entre le XIVème et le XVème siècles, alors que leur métier était assez peu militariste ?

La légende voudrait que certains nobles ayant servi le roi aux Croisades, mais y ayant aussi perdu leur fortune, auraient été récompensés par le roi Saint-Louis (1214-1270) de leurs bons et loyaux services avec l’attribution du privilège héréditaire de souffler le verre. Cette légende avait sans doute l’intérêt de s’accorder avec l’idéologie militariste de la noblesse d’épée. Mais elle faisait remonter l’anoblissement des verriers avant les années 1270, date de la mort de Louis IX en Tunisie ; et surtout elle n’est documentée par aucun texte ni aucun fait précis sauf une harangue tardive de 1753. Nous ne saurions la retenir, en soupçonnant un anachronisme. On peut seulement noter que les armes de certaines lignées de gentilshommes verriers portent le croissant de lune symbole des Croisades ; et on est en droit de supposer que certains de leurs ancêtres languedociens auraient pu, en effet, servir en armes dans ces expéditions orientales.

Il e t plus probable que l’anoblissement des verriers a résulté des nouvelles conditions économiques qui ont prévalu après 1340 dans les campagnes françaises. Jusqu’alors, il n’existait de vitreries qu’à l’intérieur des villes encore de taille modeste et aux constructions espacées, ou parfois dans 1’enceinte des monastères par exemple les ateliers de vitrail qui fournissaient les verrières des basiliques. Leurs artisans ne semblent pas avoir été nobles. Existait-il cependant des verreries sylvestres ? A l’époque les campagnes n’étaient pas sûres ; on résidait plutôt auprès des forteresses ; les forêts étaient même infestées de brigands ; les verreries auraient été exposées aux attaques. En effet, jusqu’au XIVème siècle, les lieux boisés gardaient le régime du « saltus » romain ouvert à tous ; et d’ailleurs la notion même de forêt venant du latin « foras », signifiant « dehors », les excluait des lieux civilisés. Ainsi ouvertes, elles étaient peuplées anarchiquement de gens de toute sorte ainsi parfois que de mystérieux ermites ; et la production de verres ou bouteilles de luxe en était très vraisemblablement absente. On buvait alors dans des écuelles de bois ou des gobelets d’étain !

Par la suite seulement la densification des villes et les risques d’incendie obligent à expulser les fours vers les campagnes. Mais il vaudra mieux que les desservants de four dans les forêts obscure soient armés et sachent e défendre militairement.

Dans son ouvrage « Verre d’usage et de Prestige », Jacqueline BELLANGER signale que les plus anciennes verreries connues de France, celles de La Vieille Loye et de Courtefontaine en Franche-Comté ne sont pas antérieures à 1290 ; et elle note surtout que les verreries sylvestres ne se multiplieront guère qu’après 1400. En effet selon les médiévistes, l’économie marchande prend son es or seulement après 1340, quand les villes forment de plus gros marchés, quand les routes permettent mieux la circulation de commerçants, quand le productions locale ‘exportent de plus en plus loin, quand le prix du bois, seule source d’énergie thermique, augmente en flèche et que les nobles s’emparent des forêts devenues fort lucratives, dont ils chassent les manants. Pour accéder au bois de chauffe, il sera désormais préférable d’avoir la condition noble et de porter l’épée.

En outre, les princes ont tout intérêt à contrôler les espaces boisés en y protégeant des corporations de verriers anoblis qui lui devront service et redevance.

On pourrait parler au XVème siècle de la « féodalisation » des forêts, c’e t-à-dire de leur accaparement par les ordres privilégiés le quel iront jusqu’à s’y réserver la chasse et le ramassage du bois mort. Une des grandes causes de la future Révolution paysanne de 1789 ou de la future Guerre de Demoiselle en Ariège sera justement cette vieille spoliation médiévale.

Après 1340 donc, le clergé et la grande noblesse cherchent à mettre en valeur ces forêts qu’ils s’approprient et y installer des ateliers à leur dévotion. Ils feront appel à de verrier d’Allemagne ou d’Italie. Ainsi en Lorraine, le moine de Saint-Quirin installent des verriers allemands en forêt de Darney et en 1369 le duc de Lorraine leur accorde la Charte des Verriers. Il les reconnaît comme « chevaliers, écuyers et gens noble du duché », avec tous les droit et privilèges y afférents. Ces verriers lorrains essaimeront par la suite jusqu’au sud du massif central, par exemple les Hennezel dans le Tarn. Ainsi en Provence, le duc fait venir des verriers d’Altare, en Ligurie, dont les patronymes se franciseront peu à peu, et il les anoblit, quoiqu’avec un certain délai. Pour le Languedoc, au nom du roi Charles VII, la charte de Sommières octroie en 1445 le privilège héréditaire de la verrerie de luxe à des gentilshommes s’engageant à ne transmettre cet art qu’à leurs descendants nobles par leurs deux géniteurs, à l’exclusion donc des bâtards, et à n’exercer aucun acte de commerce, qui les ferait déroger à leur condition noble. Doit-on supposer qu’avant 1445 le métier du verre de prestige était ouvert à tous en Languedoc et que le roi l’aurait alors « privatisé » moyennant finances On ne sait pas trop. En revanche la fabrication de verres à vitres semble demeurer dans le commun. Ainsi la hiérarchie des ordres se réfléchit jusque dans les arts du verre, en attribuant à des nobles le privilège de confectionner les articles de luxe et en laissant au tiers-état le soin de fabriquer les objets d grande consommation. Quoi qu’il en soit, les premiers nobles verriers apparaissent dans les archives vers la fin du XVème siècle et notoirement, dans le Tarn, à Revel, Amie) de Robert, l’ancêtre de tous les Robert. Mais lorsque

L’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert exposera sur une vingtaine de page la technique du verre, elle n’aura pas un mot pour la noblesse verrière.

Les privilèges de cette noblesse artisanale sont surtout l’exclusivité du droit de souffler le verre et l’exemption des impôts de droit commun : taille, subsides ordinaires et péages. En revanche, les verriers doivent payer patente.

Ces gentilshommes verriers restent cependant au plus bas de la hiérarchie nobiliaire. Ils ne sont qu’écuyers (du latin : « equus », cheval), c’est-à-dire nobles servant à cheval, par opposition aux roturiers qui combattent à pied. Ne possédant ni fiefs éminents, ni grands domaines, ni grosses rentes, ils n’appartiennent pas à la noblesse de Cour. Aucun gentilhomme verrier ne se verra présenter au roi, ni à Paris, ni plus tard à Versailles. Chacun n’en porte pas moins le chapeau et l’épée au flanc. Il faudra les guerres de l’Empire pour que l’un d’eux approche l’empereur et accède à la dignité de baron, en reconnaissance de ses faits d’armes : le général baron Paul de Verbigier de Saint-Paul.

Sous l’Ancien Régime, le travail de la verrerie n’accapare pas tous les nombreux rejetons de ces lignages et beaucoup de leurs jeunes gens s’engagent au service armé du roi sur les frontières ou dans les garnisons. SAINT­ QUIRIN énumère de nombreux descendants des familles verrières qui sont officiers des armées. En 1664, Louis XIV confirme dans sa noblesse Jean de Robert, sieur de Ségala, de Labruguière, près de Castres, qui fut mousquetaire aux batailles de Bapaume, Rocroy ou Rethel, et se retrouve capitaine d’une compagnie d’un régiment royal d’infanterie. En 1692, un sieur de Robert- Lassagne est dragon au régiment de Valençay. Jean -François de Robert, né à Saint­ Pons, est capitaine en 1658, puis aide-major à Montmédy en 1660, et fonde tout une dynastie militaire de Robert­ Talibert, dont 1’un des héritiers sera en 1745 capitaine au régiment de Foix.

Les gentilshommes verriers sont-ils si pauvres qu’on l’écrit souvent ? Sans doute leurs charges sont-elles lourdes : il leur faut amortir leurs fours sur cinq ou six mois seulement d’activité hivernale, acquérir en masse du bois, du groisil et des ingrédients, payer les nombreux paysans qui les aident, concéder une marge aux distributeurs et souvent leur faire crédit, assumer les pertes… On conserve des traites qui témoignent de leur manque de trésorerie. Mais pauvres en définitive ? La chose reste discutée, parce que la dissimulation fiscale sévit d’ores et déjà. Au moins faudrait-il distinguer les patrons des salariés. Certains chefs de famille acquièrent des bois et des terres qui en font des propriétaires fonciers. On leur attribue même des cheptels de plusieurs centaines de têtes. D’autres verriers, moins heureux, restent salariés. En tout cas, l’exercice de la distribution leur est refusé et incombe aux dynasties de colporteurs, au moins jusqu’à l’abolition des privilèges en 1789.

Sont-ils peu considérés par la noblesse d’épée ou de robe ? La chose n’est guère douteuse. Trop de faits l’attestent. Citons par exemple cette savoureuse anecdote que SAINT-QUIRIN prête au bon roi Henri IV. Celui-ci roulait en carrosse au travers d’une forêt, quand sa troupe fut bloquée par un amas de gens. « Que se passe-t-il ? – Sire, ce sont des souffleurs de bouteilles qui coupent des arbres pour leurs fours. – Oh alors, qu’ils viennent plutôt souffler dans le cul de mes chevaux pour les faire avancer plus vite ! ». En 1789, l’assemblée de la noblesse à Saint-Girons rechigne à recevoir en son sein tous ces gentilshommes gagnant leur vie de leurs mains et de leur bouche. Ils n’ont pas ces beaux chapeaux à plumes sous lesquels les députés nobles défileront à l’ouverture des Etats Généraux de mai 1789. Sans compter les maladies professionnelles, dont on ne parle jamais, mais dont les séquelles se voient à l’œil nu, ne serait-ce que les brûlures et la déformation des lèvres !

Au seizième siècle, la majorité des gentilshommes verriers rallient la Réforme de Luther ou Calvin. Quelques-uns demeurent catholiques ou se reconvertissent après la révocation de l’Edit de Nantes. En effet, on ne peut pas dissocier la réforme protestante de la révolution industrielle du XVIème siècle, car les villes industrielles ainsi que les artisans forment les gros bataillons des réformés, tandis que la rente agraire, foncière et minière fait la base sociale du catholicisme. Donc en gros, si l’on veut, imprimeurs, artisans et verriers d’un côté, hobereaux, moines et paysans de !’autre. En 1745, le pasteur du désert Antoine Court note que la majorité des verriers étaient encore réformés au début de son siècle. Néanmoins tous ces gentilshommes restent royalistes, avant comme après la Révolution. Les recensements des nobles verriers que le viguier de Sommières opère en 1675, 1718 et 1753, pour démasquer et évincer les usurpateurs, sont bien accueillis de leur part et d’ailleurs les maintiennent dans leur condition privilégiée.

En effet, une préoccupation majeure de l’Ancien Régime est d’éviter l’usurpation des titres de noblesse par les roturiers désireux d’éluder les charges fiscales du tiers-état. Le roi prescrit périodiquement la vérification des titres de noblesse et les prétendus nobles qui ne peuvent satisfaire à cette obligation sont en principe ravalés à la condition roturière, sauf s’ils paient leur rachat moyennant finances. Ou bien des jugements sont rendus sur pièces pour chaque cas litigieux ; ou bien l’intendant de la région considère que tel particulier est de noblesse assez notoire pour n’avoir rien à produire. François Ier ordonne en 1546 le premier dépistage des « faux nobles » et Louis XV en 1726 le dernier. On ne mesure plus bien aujourd’hui combien cette police des titres crée d’angoisses et de frustrations. Les retranchements de la noblesse affectent, pensent les historiens, un gros tiers des effectifs et causent des ressentiments qui expliqueront en partie l’abolition radicale de la noblesse en 1789. Les archives des gentilshommes verriers portent les stigmates de ces peurs. On y lit qu’ayant produit leurs titres, la plupart des verriers sont « maintenus » dans l’ordre de la noblesse, mais que d’autres, ne les ayant pas produits à temps, en sont déchus. Ces titres faisant preuve sont des actes de naissance ou de mariage, des testaments ou des contrats, mais dont les vérificateurs estiment que beaucoup sont falsifiés.

En effet, la fabrication de faux titres de noblesse est sous l’Ancien régime une activité florissante, puisqu’en 1698 un certain Maurel est pendu à Montpellier pour en avoir confectionné et vendu. Il arrive que le roi abolisse rétroactivement tous les titres de noblesse octroyés depuis trente ans ou même un siècle. Ce qui oblige les intéressés, s’ils veulent demeurer nobles, à payer une soulte.

Ce qui explique peut-être aussi pourquoi en 1753 Jean de Robert Montauriol fait remonter aux Croisades la noblesse des lignages verriers. Il vaut mieux prendre quelques siècles d’avance ! Alors même que l’ère des Lumières commence et que le progrès industriel s’affirme, ces gentilshommes verriers participent de tout cœur à la résistance au changement qu’on appelle la « révolte nobiliaire ». En 1753, devant l’assemblée des verriers réunie à Sommières, Jean de Robert Montauriol, résidant au Carla-le-Comte, se prévaut des Croisades pour dénoncer les verriers qui acceptent comme ouvriers des étrangers non nobles, ou, étant nobles, travaillent à des verreries gérées par des roturiers. A l’unanimité l’assemblée interdit aux verriers de vendre au détail hors des murs de leur verrerie, de s’associer directement ou indirectement à un roturier, de lui prêter leur nom et à tout ouvrier noble de prendre du service dans une verrerie gérée par un roturier.

Dans la seconde moitié du XVIIIème siècle, le déboisement des collines est devenu assez critique pour que les pouvoirs publics veuillent désormais refouler les verreries sylvestres au sommet des Céve1mes et favoriser les seules verreries au charbon de terre. Mais les gentilshommes résistent à ce changement de source d’énergie en arguant que la pureté de leur race serait ternie par l’usage du charbon. Comment, arguent-ils, faire des verres d’un blanc noble avec de la houille aussi noire ?

Alors que la Révolution abolit les privilèges, la noblesse et les particules, la plupart résistent à la République et, dès la Restauration de 1815, reprennent leurs titres et leurs noms à particules. Rares sont ceux qui ne relèveront pas leur ancien patronyme, comme les Suère, qui en 1789 s’appelaient les sieurs de Suère.

Sous la monarchie de Juillet, dans les années 1830, un pasteur desservant les temples du Couserans en Ariège observe que les verriers soufflent dans leur canne en gardant le poignard au côté, comme signe d’une noblesse à laquelle ils ne renoncent pas. L’obéissance à la charte de Sommières les oblige encore à n’épouser que des conjoints de « noble extraction », ce qui explique l’endogamie persistante entre les lignages nobiliaires, telle qu’on l’observe dans les arbres généalogiques jusqu’à la fin du XIXème siècle. Même l’obligation de noblesse par les deux géniteurs est maintenue.

Avec la mécanisation, les industries verrières se concentrent et se localisent dans les grands bassins de main d’œuvre et de charbon. En1853, la Compagnie générale des verreries de Loire et du Rhône réunit déjà 3.000 salariés autour des mines de houille du bassin de Saint-Etienne ; en 1855, la société verrière de Saint-Gobain fusionne avec Saint-Quirin en Moselle ; après 1883, les verreries sylvestres de Pointis-Mercenac disparaissent et, en 1893, les verreries de Moussans (Hérault), bien qu’elles utilisent le charbon. Ces concentrations se font au détriment des gentilshommes verriers. Devenus simples ouvriers qualifiés, ils forment une association dans le but de maintenir leur haut niveau de salaire et de se réserver par filiation le monopole de la profession. Ils organisent des grèves pour s’opposer à l’embauche d’ouvriers étrangers. A la suite de l’une d’elles, particulièrement âpre et qui dure 317 jours, ils créent la première coopérative ouvrière, à Rive-de-Gier, dans la Loire. Cela s’appelle la prolétarisation.

Ainsi la fin des verreries sylvestres met fin aux gentilshommes verriers, qui dès lors se dispersent aux quatre vents.

Michel Bégon (de Robert-Bousquet), mars 2011